Antispécisme et négation des différences entre animaux et humains

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Les questions d’éthique animale occupent une place de plus en plus importante dans le débat public. La pertinence des points de vue exprimés à son égard demeure toutefois très inégale. Parmi eux, une position consiste à affirmer que l’antispécisme nie les différences existant entre les animaux et les humains. Qu’en est-il vraiment ?

Pour répondre à cette question, il est préférable de définir au préalable ce que sont le spécisme et l’antispécisme. On appelle spécisme l’idéologie qui postule une hiérarchie entre les espèces animales, conduisant à octroyer des privilèges aux êtres humains au détriment de tous les autres animaux. On peut aussi ranger sous ce terme la préférence pour certains de ces animaux par rapport à d’autres ; ce qui amène par exemple à accepter de mutiler, de mettre à mort et de manger des poissons, des poules, des cochons ou des vaches, mais pas des chats, des hamsters ou des chiens. L’antispécisme est une remise en question de cette idéologie : la pensée antispéciste énonce qu’il est injuste de nuire aux animaux, ou de nier leurs intérêts, en se basant sur le seul critère de leur appartenance à une espèce ou à une autre.

Un argument souvent avancé dans le but de critiquer le mouvement antispéciste consiste à affirmer que ce dernier « nie les différences qui existent entre les humains et les animaux ». Cet argument énonce généralement que la négation de ces différences serait une erreur, puisque ces dernières sont réelles, observables, et que l’antispécisme reposerait conséquemment sur un postulat invalide.

Or, la pensée antispéciste reconnaît les distinctions morphologiques, cognitives, comportementales et autres dissemblances pouvant exister entre les différentes espèces animales (être humain compris), ainsi qu’entre les individus regroupés au sein d’une même espèce, mais estime que la considération morale que l’on accorde à un individu ne peut être basée sur ces seules différences. Loin d’affirmer que les êtres humains sont identiques aux autres animaux ou que, par extension, les autres animaux devraient bénéficier du même traitement ou avoir les mêmes droits que les êtres humains (ce qui est effectivement absurde, puisque les belettes n’ont a priori que faire du droit de vote, entre autres), la pensée antispéciste revendique une égale considération des intérêts des êtres susceptibles de ressentir une nuisance : intérêts à vivre et à ne pas souffrir, notamment.

On notera également que la formulation consistant à prétendre que « l’antispécisme nie les différences qui existent entre les humains et les animaux » est fort hasardeuse, car les humains sont des animaux. Énoncée telle quelle, cette affirmation a donc autant de sens que de chercher, par exemple, à « étudier les différences existant entre les cigognes et les oiseaux », ce qui est inepte.

On retrouve pourtant l’usage de cette critique spécieuse de l’antispécisme sous la plume du philosophe Francis Wolff, notamment, qui entend démontrer le « danger » de la pensée animaliste en lui faisant porter des attributs qui ne sont pourtant pas les siens. On peut le lire dans « L’Homme n’est pas un animal comme les autres« , lorsqu’il écrit : « Un certain discours contemporain […] affirme que la science actuelle « prouverait » que « l’homme n’est qu’un animal ». […] Si la science a raison, c’est la preuve que homme n’est pas un animal comme les autres, puisqu’il est le seul être vivant capable de ce type de connaissance, la science. » Partant de prémisses erronées – la pensée animaliste ne postulant pas davantage que l’homme est un animal comme les autres, que la baleine est un animal comme les autres, pour la bonne raison que ces propositions ne répondent à aucune logique – Wolff ne fait que tenter de réfuter une position inexistante ou caricaturale d’un mouvement dont les tenants et aboutissants sont pourtant développés dans une littérature abondante. De la même façon, le fait que les êtres humains soient « capables de ce type de connaissance » ne justifie pas davantage qu’on les désigne comme un animal « pas comme les autres » que, par exemple, les chiroptères, sous prétexte que ces derniers sont capables d’écholocation.

Le philosophe Jean-François Braunstein s’enfonce dans un écueil similaire lorsqu’il fustige, dans « La philosophie devenue folle : le genre, l’animal, la mort », un« effacement des limites entre animaux et humains », pourtant fantasmé. On retrouve encore cette mauvaise compréhension de l’opposition à l’idéologie spéciste dans le discours d’Alain Prochiantz, entre autres.

On lira à ce sujet L’imposture intellectuelle des carnivores, de Thomas Lepeltier, qui propose un aperçu salutaire de ces argumentaires défiant la logique. L’occasion, peut-être, d’élever un peu le débat et de se passer d’idées reçues indésirables à cause de la violence qu’elles entretiennent.

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