Véganisme, « régimes sans » et dérives sectaires

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Lorsqu’on refuse le statut de propriété imposé aux animaux -statut qui les expose aux traitements les plus éprouvants- il est cohérent de ne pas consommer ces derniers ou le fruit de leur exploitation. L’engagement animaliste va donc de pair avec le véganisme. Cela peut toutefois faire peur : « régime sans », « effet de mode », dérive « religieuse » ou « sectaire »… Qu’en est-il vraiment ?

Il y a « régime sans » et « régime sans »

L’expression est souvent utilisée dans les médias pour désigner des régimes alimentaires à la mode excluant certains types d’aliments. En tête de liste, on retrouve le régime « sans gluten » ; ou encore les régimes « détox », « crudivores », « sans sucre », « sans sel », « sans OGM », « fruitariens » ou « sans cholestérol ». Tous ont un point commun : ils sont suivis par leurs adeptes dans l’objectif d’améliorer leur santé personnelle. La littérature scientifique disponible a beau montrer l’innocuité des OGMl’absence de fondement de la mode détox, ou encore les risques que peut présenter le fait de se lancer dans un régime sans gluten en l’absence de maladie cœliaque ; rien n’y fait : les personnes adeptes de ces régimes restent convaincues de leur bien-fondé. Il est donc nécessaire et tout à fait louable, dans ces cas précis, d’informer le grand public et d’alerter au sujet d’allégations publicitaires pouvant s’avérer douteuses.

Lorsque nous parlons de végétalisme ou de véganisme, en revanche, il est question de tout autre chose. Oui, certaines personnes pensent que le végétalisme va améliorer leur santé et leur bien-être. Certaines le revendiquent, même. Et c’est parfois effectivement le cas. Mais le choix de ne plus participer à l’utilisation des animaux découle de principes éthiques visant à nuire le moins possible à autrui. Ces principes sont eux-mêmes basés sur des faits rationnels : les animaux que nous consommons – poissons, oiseaux, vaches, cochons, lapins… – sont sentients : ils éprouvent des émotions, sont capables de souffrir et ont une vision subjective de leur propre vie : ce qui leur arrive leur importe.

Par conséquent, associer le véganisme, qui est un boycott politique, aux pratiques individuelles irrationnelles axées sur la santé humaine que nous avons vues plus haut, est au mieux de l’ignorance ; au pire, de la malhonnêteté intellectuelle. Il est important que les personnes qui traitent du véganisme prennent la juste mesure des conséquences de cette confusion, notamment pour leur propre crédibilité.

L’expression « régime carencé », souvent employée pour définir le végétalisme, est-elle pertinente ?

La question de la vitamine B12 et des compléments alimentaires

L’un des arguments-phares des personnes s’opposant au véganisme est que le régime alimentaire induit par ce mode de vie, le végétalisme, serait intrinsèquement carencé, qu’il ne se « suffirait pas à lui-même », puisqu’il demande à être complémenté en vitamine B12. La complémentation en vitamine B12 est bel est bien indispensable à une alimentation végétalienne. En effet, le végétalisme consiste à ne consommer aucun produit d’origine animale. Or, cette vitamine est totalement absente des végétaux sous une forme assimilable par l’organisme. C’est donc la B12, qui est produite par culture de bactéries (à l’instar de celles que l’on retrouve par exemple dans les yaourts, le saucisson sec, la bière ou la plupart des fromages), qui nous permet de nous passer totalement de consommer des animaux ou le fruit de leur exploitation dans le cadre alimentaire. Il suffit d’en prendre un complément, dont la forme la moins chère coûte environ 4,00 euros par an.

On peut, une fois ces quelques faits exposés, se demander s’il est bien raisonnable de faire de cette nécessaire complémentation un argument à opposer au véganisme. En effet, qu’est-ce que cela sous-entend ? Généralement, que l’alimentation traditionnelle (on entend par là non végétalienne), qui n’aurait pas besoin de complément, se suffirait à elle-même, et qu’elle serait donc la meilleure, ou la plus viable, pour cette raison. Cette vision des choses est biaisée, pour plusieurs raisons.

D’une part, l’alimentation traditionnelle est souvent elle-même complémentée : céréales du petit-déjeuner, produits laitiers enrichis en vitamine D (80% de la population adulte vivant en France métropolitaine présente un déficit en vitamine D [1]), et autres produits alimentaires enrichis en fibres, Omega 3, phytostérols, fer, calcium ou magnésium ne posent généralement pas de problème de conscience aux personnes qui les consomment. Pourquoi la complémentation en vitamine B12 poserait-elle davantage problème que ces enrichissements vitaminiques courants ? De la même façon, la complémentation en iode du sel de table, réglementée en France depuis 1952, et visant à éliminer les récurrentes et délétères carences en iodes dans la population, n’est jamais accusée d’être la preuve que l’alimentation traditionnelle est intrinsèquement carencée.

D’autre part, comment déterminer ce qui appartient au caractère intrinsèque d’une alimentation ? Pour le formuler autrement, pourquoi penser qu’il est moins naturel, ou moins viable, de cultiver des bactéries pour obtenir de la vitamine B12, de conditionner cette dernière en pots et de la consommer ; plutôt que de faire se reproduire (souvent par insémination artificielle) les animaux entre eux, de les maintenir en captivité, de les nourrir et de leur prodiguer des soins médicaux, puis de les transporter jusqu’à un abattoir, de les tuer, les découper, les conditionner, les placer en magasin puis de les mettre ensuite dans une zone réfrigérée pour finalement les consommer ?

On le constate, cet argument flirte dangereusement avec l’appel à la nature, ce sophisme qui prétend que ce qui ne serait pas « naturel » ne serait pas bon ou juste. On peut se demander en quoi cultiver des bactéries pour obtenir une vitamine serait moins viable, moins « naturel » ou moins souhaitable, que de cultiver des haricots pour obtenir des protéines.

Quand il y a confusion entre véganisme et pratiques individuelles inadaptées

Sélectionner des anecdotes et des exemples isolés pour invalider l’ensemble d’une pratique ou d’un mouvement est une méthode fallacieuse, que l’on retrouve pourtant dans certains papiers à charge contre le véganisme. Par exemple, cette regrettable chronique, erronée sur bien des points, récemment publié dans l’AFIS ; support qui affiche pourtant une visée scientifique qui « s’interdit toute concession au sensationnalisme ». On y retrouve tous les ingrédients de la tribune à charge sensationnaliste.

Cette chronique évoque notamment les décès de trois enfants, survenus à la suite de négligences ayant entraîné une malnutrition. Leurs parents respectifs ont en effet, dans les trois cas, administré du jus végétal de consommation courante (du type boisson au soja ou lait d’avoine par exemple) à leur bébé, comme nourriture exclusive ou quasi-exclusive. Or, le problème de ces cas est donc d’avoir donné aux bébés non pas des préparations végétales, mais des préparations non infantiles. Cette nuance fait toute la différence.

Le tout est appuyé par une photo caricaturale (une personne boude devant son assiette, qui ne contient qu’une rondelle de concombre coupée en quatre), procédé qui évoque davantage la presse people ou le publi-rédactionnel que la presse scientifique.

En liant ces cas isolés au véganisme, la chronique se situe à la fois dans le hors-sujet et la généralisation abusive. Lorsqu’elle omet de préciser que l’ANSES est favorable aux préparations infantiles végétales (« hors allaitement, seules les préparations pour nourrissons et préparations de suite […] qu’elles soient formulées à partir de protéines animales ou végétales, permettent de couvrir les besoins du nourrisson »), alors que l’information est justement donnée dans un article de l’ANSES cité en fin de chronique, elle s’enfonce dans le cherry-picking, exemple de biais de confirmation qui consiste à ne collecter et à n’évoquer que les arguments qui soutiennent une position que l’on défend déjà a priori.

Le problème ne réside pas dans le véganisme, mais bien dans le fait de donner à son enfant une alimentation inadaptée ; il aurait fallu le mentionner. Ne donner que du lait de vache de consommation courante, donc non infantile, n’est pas non plus adapté aux bébés et leur fait courir un risque similaire de malnutrition ou de décès. En n’indiquant pas la viabilité du végétalisme à tous les âges de la vie (voir également [2][3] et [4] à ce sujet), la chronique oublie de mentionner des faits importants qui permettraient pourtant de sécuriser la santé des internautes en les informant objectivement.

Il faut noter que, dans ces mêmes cas, les parents avaient mis en danger leur enfant via d’autres négligences, notamment un suivi médical inadapté ou absent : refus de vaccination, absence de carnet de santé, homéopathie utilisée dans le traitement de pathologies graves, manque de réactivité face à la maladie, etc. Cela n’a donc aucun rapport avec le véganisme, mais bien avec un cruel manque d’information assorti de croyances pseudo-scientifiques dangereuses qu’il convient de combattre.

Est-il légitime d’accuser le véganisme ou l’antispécisme d’être religieux ou sectaire ? 

Ces accusations sont récurrentes. Elles se basent à la fois sur le principe de boycott des produits d’origine animale induit par la revendication des droits des animaux (qui est un principe de cohérence, puisqu’il est aberrant de manger les victimes que l’on défend) ; et sur les arguments fallacieux proférés par certaines personnalités véganes qui connaissent parfois une audience importante.

La lutte pour les intérêts des autres animaux implique un changement important de mode de vie, notamment alimentaire. C’est ce qui est mal compris et peut passer pour une quête de pureté personnelle. L’exclusion de la chair, des produits laitiers ou encore des œufs peut facilement être mise en parallèle avec des restrictions alimentaires d’ordre religieux, à l’instar du refus de consommation de la chair de cochon chez les personnes musulmanes ou juives, ou des jours de jeûne imposés par l’Église catholique à ses fidèles. Les accusations de sectarisme sont elles aussi issues, en partie, de cet état de fait.

Pourtant, ces exclusions alimentaires arbitraires, issues de croyances et de dogmes, n’ont aucun rapport avec l’animalisme, position éthique résultant de l’étude de faits rationnels et pouvant être résumée ainsi :
– Les animaux exploités ont un intérêt à vivre et sont en capacité de ressentir de la souffrance ;
– La souffrance est par définition une sensation désagréable, et les êtres qui la ressentent cherchent à l’éviter ;
– Le système d’exploitation des animaux ne prend pas en compte leurs intérêts à vivre et à ne pas souffrir ;
– La consommation de produits d’origine animale est inutile pour vivre en bonne santé ;
– Nous évitons donc de causer aux autres animaux cette nuisance puisque nous pouvons l’éviter.

Parce qu’il bouscule habitudes, confort et traditions, ce choix éthique peut être mal perçu. Parce qu’elles rejettent ou moquent les personnes ayant fait ce choix éthique, les accusations citées plus haut poussent logiquement les personnes véganes à chercher du soutien entre elles, puisqu’elles partageant des engagements similaires. Ce qui est finalement susceptible d’apporter de l’eau au moulin de l’hypothèse énonçant que les véganes sont sectaires et communautaristes. C’est le serpent qui se mord la queue.

En cause également, dans ces accusations : l’argumentaire désastreux  de certaines personnalités militant pour le véganisme, qui affirment que « l’être humain est herbivore » comme le fait G. Yourofsky (à ce sujet, je recommande la lecture de « Gary Yourofsky – Analyse d’une imposture »excellent article du blog sceptique La Menace Théoriste). D’autres prétendent encore que la consommation de fruits et légumes crus guérit le cancer ; qu’une alimentation végétale permet de « détoxifier » son organisme. Et alors que l’approche du véganisme pourrait se construire sur une base saine et rationnelle (une alimentation végétalienne bien menée est viable à tous les âges de la vie), elle fuit régulièrement vers des dérives qui portent préjudice au mouvement, mettent en danger les personnes, et nuisent finalement aux animaux.

Il est bien sûr nécessaire et légitime de dénoncer les discours erronés ou volontairement trompeurs. Quel que soit le domaine, car pas un n’y échappe. Les discours fallacieux et les fake news sont partout. Mais on ne peut, par exemple, condamner l’ensemble de la médecine sous prétexte que certains médecins recommandent des séances de magnétisme ou prescrivent des traitements homéopathiques pour soigner des otites chroniques. On ne peut condamner la science sous prétexte que certaines études scientifiques sont frauduleuses. De la même façon, on ne peut condamner l’ensemble du mouvement animaliste parce que certaines personnes véganes présentent des arguments invalides ou appliquent des stratégies douteuses.

En conclusion

Les arguments fallacieux exposés par certaines personnes véganes (et dont je déplore moi-même l’usage dans un précédent billet) ne peuvent invalider le véganisme, et encore moins le mouvement animaliste tout entier, car l’évaluation de la pertinence d’un mouvement (ou d’une pratique) ne devrait pas se baser sur l’attitude ou les seuls propos de certaines personnes – même les plus médiatiques – qui le (ou la) défendent. Ce sont les arguments qui doivent convaincre, et non les personnes qui énoncent ces arguments.

En tant que journalistes, auteur·rices, rédacteur·rices, il est est primordial de diffuser des informations fiables, sourcées et dépassionnées sur la question, a fortiori dans les supports se réclamant du scepticisme scientifique ; ce qui manque encore cruellement. Les termes parfois utilisés par certains supports de presse ou certaines personnalités pour traiter de ce sujet (« religion végan »« djihadisme vert »« intégrisme vegan »…), n’ont pour effet que de décrédibiliser leurs auteur·rices en affichant la médiocrité de leur argumentaire et leur malhonnêteté intellectuelle. Il serait bon pour tout un chacun que ces pratiques soit remises en question.

En tant que militant·e, nous devons toutefois nous interroger sur la pertinence et la validité de notre argumentaire, car la compréhension de l’animalisme en dépend. Nous devrions ne pas oublier qu’à chaque fois que nous associons antispécisme et sans gluten, nous faisons une erreur préjudiciable avant tout aux animaux. Qu’à chaque fois que nous associons antispécisme et tendance alimentaire, qu’il s’agisse de crudivorisme, de fruitarisme ou autre régime sans, nous faisons fausse route et donnons du grain à moudre aux personnes qui refusent aux autres animaux la considération morale que nous réclamons à leur égard. Une exigence de justice telle que celle-ci, qui touche aussi à des questions de santé publique, ne devrait pas être enrobée ainsi de pseudoscience et de charlatanisme comme c’est actuellement le cas. En tant que véganes et sceptiques, nous devons apporter une contradiction à ces discours dangereux, dans l’intérêt des autres animaux.

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Sources non intégrées au texte :
[1] Statut en vitamine D de la population adulte en France : Étude nationale nutrition santé (ENNS, 2006-2007), Unité de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Usen), Institut de veille sanitaire.
[2] Mortality in vegetarians and nonvegetarians : detailed findings from a collaborative analysis of 5 prospective studies, Imperial Cancer Research Fund, Cancer Epidemiology Unit, Oxford.
[3] Vegetarian dietary patterns and mortality in Adventist Health Study 2, School of Public Health, Loma Linda University.
[4] The long-term health of vegetarians and vegans, Cancer Epidemiology Unit, Nuffield Department of Population Health, University of Oxford.

Un commentaire sur “Véganisme, « régimes sans » et dérives sectaires

  1. Un très bon article qui dégage bien les enjeux du véganisme et les amalgames regrettables.

    C’est toujours très agaçant d’être ramené constamment à une idée de pureté alimentaire avec des concepts plus ou moins religieux ou new-age alors que le véganisme est essentiellement éthique.

    Merci donc. Frédéric Leblanc

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